9 Avril 2020
Nez : Voici un nez bien complexe comme nous les aimons. Il possède un visage épicé, sur le bois et le vieux cuir et un autre gras, exotique, caramélisé. C'est un mariage qui me fait songer à une marinade alliant le punch et la gourmandise. À l'ouverture la puissance est évidente, mais celle-ci s'efface rapidement, ne laissant plus rien paraître. Pâtes d'orange et de citron, moka, pour finalement bien plus de rondeur qu'attendu.
Bouche : Certes il y a du bois et des épices associées, mais c'est bien la douceur qui se confirme et s'impose. Nous avons une très belle vanille, encore de ce moka, bien qu'un peu moins crémeux. Des fruits exotiques, mangue en tête, du chocolat voir même du cacao pur, créent cette dynamique qui permet aux papilles de rester continuellement en éveil. Elle ne versera jamais ni d'un côté, ni de l'autre, de la gourmandise, mais aussi une certaine rigueur. L'alcool est absolument imperceptible pour qui est habitué à ce genre de breuvage.
Finale : Celle-ci va s'assécher légèrement, tout en laissant une trace d'agrumes confites. Du poivre et un aspect sucre d'orge très subtil. Puis arrive du bois de santal, de la cannelle pour une finale juste un rien plus austère. Un très beau produit, qui devrait faire également le bonheur des amoureux de whisky, puisque je lui trouve pas mal de correspondance avec la palette de quelques distilleries écossaises, tant sur le bois et les épices que sur le fruité, moka etc... Belle découverte pour moi.
Depaz
La distillerie Depaz est peut-être de celles qui existe aujourd’hui encore, celle qui a connu l’histoire la plus belle, mais aussi la plus dramatique.
Elle entrera en activité en 1651 et son premier propriétaire n’est autre que le descendant directe de Pierre Belain d’Esnambuc, premier français à diriger la colonie en 1635.
Elle changera de propriétaires à plusieurs reprises, avant d’appartenir en 1810 à la famille Pécoul, qui possède déjà deux habitation situées à Basse-Pointe.
Suite au choc que créera la production de sucre de betterave dans l’économie de l’île, les producteurs décideront d’effectuer la transition sur le rhum habitant, issu du pur jus de la canne, ce en 1883.
C’est à cette époque que la famille Depazentre dans l’histoire de la distillerie.
Le 08 mai 1902, une tragédie touche Saint-Pierre et ses environs, le volcan de la Montagne Pelée entre en éruption, ce qui causera la perte de dizaines de milliers de gens.
Les familles Pécoul et Depaz sont anéanties, enfin presque.
Victor Depaz a alors 16 ans et est durant ces événements étudiant à Bordeaux, ce qui lui sauvera la vie, mais le privera à tout jamais de ses proches.
Il terminera ses études et projettera de s’installer au Canada.
Toutefois le navire qui le transporte pour ce long voyage, fera contre toute attente une escale en Martinique.
Comme un signe du destin, il finira par s’y installer, avec le souhait de devenir lui aussi distillateur.
Il fera son apprentissage chez ses voisins producteurs, jusqu’en 1914 où il deviendra administrateur de l’habitation de Basse-Pointe.
À la fin de la première guerre, il entrera par le mariage dans la famille Hayot. Il choisira d’affronter une nouvelle fois le destin en rachetant les plus de 500 hectares de terre où était implantée la distillerie originelle, il sera le seul à le faire.
Les premiers 100 hectares seront plantés rapidement la production démarrera et fort heureusement la reconnaissance arrivera très rapidement.
Il sera l’un des premiers à effectuer le vieillissement de son rhum, ce qui n’était pas commun pour l’époque.
Participera aux fondations du syndicat des producteurs prônant l’établissement d’une appellation particulière.
Ses fils se succéderont ensuite à la tête de la distillerie de 1948 à 1989, où elle sera cédée au groupe La Martiniquaise, via Bardinet.
La famille conservera encore une partie des terres, mais lorsque André Depaz disparait, elles seront également vendues au groupe.
L’outil sera modernisé, passera à une production bien supérieure. La récolte est aujourd’hui mécanique, les cuves au nombre de 16 d’un volume de 28.000 litres.
Le vesou titre 9% après 24 heures de fermentation et est distillé sur une colonne en acier de 19 plateaux d’épuisement et 10 de concentration en cuivre, produisant un rhum à 70%.